L’Afrique du Sud connaît un bras de fer inédit entre les acteurs de l’information. Alors qu’une collaboration existait initialement, les relations entre Google et les éditeurs sud-africains, dont Caxton CTP Publishers, se sont tendues.
Selon Paul Jenkins, président de Caxton, l’équilibre a été rompu. Les plateformes digitales comme Google tirent profit du contenu local, source d’information fiable et pertinente pour les internautes, sans pour autant rétribuer les médias à sa juste valeur.
« Nous sommes devenus des locataires expulsés d’une plateforme qui exploite notre contenu sans nous rémunérer correctement », dénonce-t-il.
M. Jenkins pointe du doigt la menace qui pèse sur le secteur de l’information. Il estime que le modèle économique est défaillant, non pas à cause de la révolution numérique elle-même, mais en raison de la domination de géants comme Meta et Google qui « parasitent » le contenu des médias, pourtant vital à leur survie.
Caxton, qui distribue chaque semaine des actualités locales à plus de trois millions de foyers sud-africains, voit son modèle fragilisé par les distorsions du marché numérique. Il souligne qu’à aucun moment, y compris sous l’apartheid et l’état d’urgence, les médias n’ont été confrontés à une telle menace.
A la différence des médias traditionnels qui doivent concilier vérité et satisfaction des annonceurs, les plateformes digitales opèrent sans ce garde-fou. Pire, la publicité programmatique rapporte aux éditeurs 86% de moins que la publicité directe.
Face à ces accusations, Google réfute toute volonté de nuire à l’écosystème des médias locaux. Marianne Erasmus, responsable des partenariats avec Google Actualités pour l’Afrique subsaharienne, assure que l’entreprise s’efforce de soutenir ce secteur en favorisant un environnement durable et diversifié.
Selon Mme Erasmus, Google n’a généré que 35 millions de rands (environ 1,9 million de dollars) de revenus publicitaires grâce à son service d’actualités en 2022. A l’inverse, elle argue que la plateforme a redirigé plus de 600 millions de clics « gratuits » vers les éditeurs locaux sur la même période, source potentielle de revenus via les abonnements et la publicité.
Toutefois, Caxton dénonce le manque de transparence de Google. L’éditeur a adressé une cinquantaine de questions jugées pertinentes à l’entreprise, essuyant une fin de non-recevoir. Google se retranche derrière la confidentialité des informations demandées.
Ce manque de transparence a été vivement critiqué lors des audiences de la commission sud-africaine de la concurrence. L’organisme a, en effet, entendu de nombreux griefs à l’encontre de Google.
Ryk van Niekerk, rédacteur en chef de Moneyweb, déplore l’approche « à prendre ou à laisser » adoptée par Google vis-à-vis des éditeurs. Il pointe également les modifications fréquentes et brutales de l’algorithme du moteur de recherche, pénalisant les sites d’information en termes de trafic.
De son côté, Anton Harber de la « Campagne pour la liberté d’expression » souligne la situation critique de grands titres sud-africains comme le Financial Mail et le Sunday Times, fragilisés par des difficultés financières.
La disparition de médias locaux aurait des conséquences néfastes pour l’économie, favorisant la corruption par un manque d’investigation journalistique. M. Harber insiste sur la nécessité d’une relation symbiotique entre les plateformes et les médias, encadrée par une régulation et une surveillance accrues.